Photo : Claude Gilliot par The Götzen Dämmerung, Wikipédia
Hommages à Claude GILLIOT
Claude Gilliot, professeur émérite d’islamologie à Aix-Marseille Université, où il a enseigné entre 1989 et 2008, date de son départ à la retraite, et, à ce titre, enseignant-chercheur émérite au pôle « Islamologie » de l’IREMAM, était un islamologue de classe internationale : en témoigne son immense bibliographie, en français, mais aussi en anglais et en allemand (il avait été germaniste avant d’être arabisant), consultable sur sa page de l’IREMAM ou encore sur Academia.edu.
Mais Claude Gilliot était aussi un homme de foi. La mention o.p., que l’on trouve souvent après son nom, vient rappeler qu’il était membre de l’ordo praedicatorum, mieux connu sous le nom de Dominicains. Très attaché à la tradition, il était également un latiniste distingué.
La messe de funérailles sera célébrée le lundi 24 mars 2025 au couvent de Saint-Jacques à Paris, à 10h. Son inhumation aura lieu à 14h30 au cimetière d’Étiolles
Hommage de Pierre Larcher, professeur émérite à Aix-Marseille Université
Avec la disparition brutale de Claude Gilliot (il m’avait appelé le 22 février dernier et Manuel Sartori l’a croisé dans Aix le 7 mars dernier), nous perdons tous un collègue savantissime. Il incarnait une forme d’excellence académique, aujourd’hui disparue. Fondée sur les humanités (il savait grec et latin, étant même un des derniers locuteurs de celui-ci, qu’il écrivait avec aisance), mais aussi la connaissance, entre autres langues modernes, de l’allemand, qu’il avait étudié, avant l’arabe, à l’université de Lille et où il avait eu pour professeur le grand germaniste (et résistant) Pierre Bertaux : il l’avait évoqué devant moi, qui le connaissais pour avoir cité dans un article sur Hölderlin, dont il était spécialiste, … la Mu‘allaqa d’Imru’ al-Qays (le monde est petit !). Sans oublier, dans le cas de Claude, une solide formation en théologie, reçue au Saulchoir, où s’instruisaient jadis les frères prêcheurs, ordre auquel il appartenait. C’est avec un tel bagage, qu’il est devenu un des maîtres, internationalement connu et reconnu, de l’islamologie critique.
Mais, moi, je perds en sus un ami, avec qui j’ai échangé durant près de quarante ans. Je le connaissais en effet depuis 1986, époque où il était à Paris 3 et moi à Rennes 2, avant de nous retrouver ensemble, d’abord à Arabica, puis à Aix, où il était arrivé en 1989 et moi en 1993. Je lui dois de m’avoir embarqué dans quelques-uns de ses travaux, petits et grands. Il me demandait de relire la partie « linguistique » (largo sensu) de ses « Textes arabes anciens édités en Égypte », paraissant dans les Mélanges de l’institut dominicain d’études orientales (MIDEO) et inépuisable mine de renseignements bio-bibliographiques pour tous les chercheurs en études arabes et islamiques. Je suis très fier d’avoir écrit avec lui le désormais classique article, abondamment cité, « Language and Style of the Qur’ān », paru en 2003 dans The Encyclopaedia of the Qur’ān. Mais le souvenir le plus émouvant, pour moi, à l’intersection de sa double vie savante et religieuse, remonte à 1994 : cette année-là, revenant du Caire, où il allait chaque année, il me raconta la fin du Père Georges Anawati, qu’il avait assisté dans ses derniers moments. Je lui dis que j’avais eu le privilège, en 1973, alors boursier à l’Institut français d’études arabes de Damas (IFEAD), d’accompagner, à la demande d’André Raymond, le père Anawati à Cheikh Mohyî l-dîn, autrement dit sur le tombeau d’Ibn ‘Arabī. Il me demanda alors de coucher mon récit par écrit…
Pour tout cela, Claude, nous ne t’oublierons pas, je ne t’oublierai pas : a Deu te comant.
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Hommage de Manuel Sartori, professeur à Aix-Marseille Université
Chercheur prolifique et personnage atypique, Claude Gilliot inspirait le plus grand respect et faisait autorité dans son domaine. Auteur d’un grand nombre de notices de l’Encyclopédie de l’Islam, il était une encyclopédie à lui seul.
Ceux qui l’ont connu et ont eu la chance de se rendre chez lui, notamment dans son dernier appartement au 39 de la rue Espariat à Aix-en-Provence, ont pu constater qu’il vivait comme il l’avait toujours fait : en moine, entouré d’une bibliothèque envahissante, qui ne lui laissait pour espace de vie que son bureau, un canapé et un simple couchage. Tout le reste était occupé par des rayonnages : sur les murs, au-dessus des portes et des fenêtres, jusque dans les moindres recoins. Les traités de fiqh, de ʾuṣūl al-fiqh, les dictionnaires, les encyclopédies, les ouvrages savants et ceux des savants de l’islam et sur l’islam, tous y étaient.
Mais derrière cette figure magistrale, il y avait aussi un bon vivant, un esprit malicieux qui aimait rire, blaguer et jouer avec les mots. Ceux qui étaient présents lors de la remise des mélanges destinés à son collègue et ami aixois, Pierre Larcher, s’en souviendront sûrement. Quant à moi, je garderai en mémoire qu’il avait accepté de siéger dans mon jury de thèse (avec un mémorable in cauda venenum !) et je relirai désormais ses lignes avec encore plus d’attention.
Avec son départ, c’est une bibliothèque qui brûle.
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Hommage de Jean Druel, chercheur à l’Idéo
Claude Gilliot était un esprit brillant et une personnalité hors du commun. Son érudition immense, sa maîtrise des langues et sa contribution considérable aux études islamologiques en ont fait une référence incontournable dans son domaine. Son nom restera attaché aux travaux les plus exigeants et aux recherches les plus minutieuses. Il était ainsi capable de se passionner pendant des jours entiers pour rédiger des notices bio-bibliographiques d'une précision infinie. Et il nous partageait sa science généreusement.
Mais Claude Gilliot était aussi un homme de contrastes. Fasciné par l’islam autant qu’il le détestait, il pouvait se montrer aussi tranchant qu’attentif, aussi intransigeant que capable de repentir. Il lui arrivait de heurter, mais toujours avec une forme de candeur qui ne laissait personne totalement indifférent. Il savait blesser, mais il savait aussi demander pardon.
Les Dominicains, dont il était et restera l’un des frères, ont toujours vu en lui plus qu’un esprit libre : un homme en quête, un chercheur dans tous les sens du terme, tourmenté mais fidèle à sa vocation intellectuelle et religieuse. Son chemin fut exigeant, parfois solitaire, mais il mérite aujourd’hui d’être salué avec reconnaissance.
Nos bene excruciavisti, sed semper tua doctrina nos ornasti.
Jean Druel, chercheur à l’Idéo
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Hommage de Mehdi Azaiez, professeur d'islamologie, UCLouvain
Mon très cher Claude,
Jamais nous n’usâmes du tutoiement. Cette réserve, loin d’être une froideur, fut l’hommage discret d'un élève à votre incomparable érudition. Rien de l’esprit humain ne vous était indifférent : la foi et ses mystères, l’islam et ses multiples visages, la philosophie et ses questionnements, la politique et ses tempêtes, vos souvenirs et les mondes arabes, vos rencontres, vos combats, vos sermons et leur ardeur, vos enthousiasmes, vos prières ferventes, vos parents et ce catholicisme qui vous était rivé à l’âme… Tout était objet de longues conversations dans votre appartement qui n’était autre qu’une bibliothèque vivante et précieuse. Vous avez été à la fois un maître exigeant et un ami fidèle, de ceux dont la rigueur inspire et la bienveillance éclaire. Mon épouse et mes enfants se souviennent de vous comme d’un grand oncle courtois et attentif.
Je sais, et mes collègues le savent tout autant, tout ce que nous vous devons. Votre thèse d’État, vos cent cinquante articles – dont certains eussent pu à eux seuls former des ouvrages – ont enrichi de manière inestimable la connaissance de la pensée théologique, exégétique et philosophique des premiers siècles de l’islam, et bien au-delà. Vous demeurerez l’une des figures cardinales de l’islamologie de notre temps, aux côtés de votre éminent collègue et ami Josef Van Ess.
Merci cher Claude. Votre absence pèsera lourd sur ceux qui vous ont connu et aimé.
Requiescat in pace.
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Tribute from Christopher Melchert, Oxford University, retired
The first work I read of his was his 1990 book on al-Ṭabarī, which I liked very well. I have subsequently cited many articles of his on the Qur’an and the commentary tradition. I have also found useful his articles on historiography and prosopography and, of course, his periodic reviews of new editions from Egypt. He was one of the referees for several journal articles of mine, easily recognizable by his enthusiasm for naming additional sources. This was testimony to his very wide acquaintance with the literature but also a motive for my own resolution never to say myself, in a review, that someone had overlooked this or that source without also mentioning precisely how it would have sharpened someone’s discussion. I would add at the end that Gilliot occasionally sent me one of his sermons, which I regularly found thoughtful and edifying. I was especially touched by his remark one time that he liked to gaze from one congregant to another, wonder about their special conditions, and offer appropriate prayers. Whatever Gilliot’s special conditions, I pray for mercy.
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Tribute from Ulrika Mårtensson, professor of Religious Studies, The Norwegian University of Science and Technology
I have only met professor Claude Gilliot once. It was at my viva at Uppsala University in early October 2001, and I was a very mature PhD candidate, in age but not in learning. He was invited to serve as “The Opponent”, as he jokingly referred to himself at the occasion. My dissertation was about al-Tabari’s history, but having read professor Gilliot’s phenomenal book about al-Tabari’s Qur’an commentary I realized that even though he would probably tear my thesis apart, I had to bite the bullet. I could not have had a more compassionate opponent! He put up with my largely vacuous deconstruction of Orientalism, and patiently indulged me when I over dinner launched a post-structuralist argument that (a) since he did say that he loved studying his subject, and (b) since the researcher-subject merges with the subject matter, it follows that (c) he actually loved Islam. May he rest in peace, and know what great impressions he has made and how high he has set the bar.