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Photo : Michel Nieto, journées de l'IREMAM, 2017

À la mémoire de Michel Nieto

Nous apprenons avec une immense tristesse le décès de notre collègue Michel NIETO, ancien ingénieur de recherche au CNRS. Pilier et mémoire de l'IREMAM depuis sa création, il a contribué à enrichir les fonds sur les mondes arabes et musulmans et a aiguillé de nombreux étudiants et doctorants dans leurs recherches sur le Maghreb, le Proche et Moyen-Orient, régions pour lesquelles il vouait une véritable passion. Il a été également responsable de la bibliothèque de l’IFEAD, à Damas et conseiller de coopération et d'action culturelle en Arabie saoudite et à Bahreïn. Il travaillait sur la navigation yéménite et ses routes maritimes et a publié Les poèmes nautiques de Sa'îd Ibn Sâlim Bâtâyi', Chroniques Yéménites, 6-7 | 1999.

Quelques témoignages reçus de ses collègues et amis

Témoignage de Catherine Miller

J’ai appris à connaître Michel Nieto au moment où j’ai pris la direction de l’IREMAM en 2015.

Michel a été d’une gentillesse et d’un dévouement extraordinaires quand nous avons accueilli Fatima Al-Zawiya à l’IREMAM et qu’il a fallu l’aider pour toutes ses démarches administratives auprès de la Préfecture et des services d’immigration à Marseille. Plusieurs fois, il s’est levé à 6 heures du matin pour l’emmener en voiture à Marseille et faire la queue pendant des heures !! C’est Michel qui nous a mis en contact avec la CIMADE. Sans lui tout aurait été extraordinairement plus compliqué. C’est aussi lui, qui très finement a réussi à débloquer des projets de coopération internationale entravés par le millefeuille administratif d’AMU.

Michel était discret, y compris sur sa vie personnelle. Il fonctionnait sur des codes qui n’ont plus cours aujourd’hui : le sens de l’amitié, la fidélité, il était viscéralement attaché à l’IREMAM dont il avait connu les débuts. Il travaillait à « l’ancienne » sur un rythme assez lent, aimant prendre son temps pour aller déjeuner mais ayant un carnet d’adresses et de contacts bien fourni et parfois fort utile. Ses dernières années à l’IREMAM ont sans doute été difficiles pour lui tellement le contexte de travail et les relations avaient changé.

Je garde le souvenir ému d’une personne très humaine, qui donnait parfois l’impression de rouler pour lui, mais qui était en fait très généreuse et sentimentale. 

Témoignage de Didier Guignard 

Cher Michel,

Tu vas beaucoup nous manquer, me manquer. 

Ta voix, en particulier, va résonner longtemps dans mon oreille : une voix douce et profonde, qui enrobe, qui caresse, prudente et insistante à la fois ; une voix qui saisit vite l’essentiel et en peu de mots, invitant à te suivre, sans prétention ni contrainte, le sourire en coin tout de même pour tâter le terrain, désamorcer si nécessaire (à grand renfort de points d’exclamation et de mimiques inimitables), pour finalement presque toujours convaincre (ou plutôt séduire). 

Tu étais admiratif des chercheurs, que tu étais prêt à servir admirablement à condition qu’ils le méritent, selon tes critères, et surtout qu’ils te respectent ! Ce en quoi tu avais bien raison. Avec ce don d’inscrire chacun.e dans une chaîne dont tu connaissais l’histoire, mieux que personne, pour avoir été l’un des artisans essentiels de la création de l’Iremam et de la bibliothèque de langue arabe. À juste titre, tu étais très fier des collections réunies, uniques en France, particulièrement attentif à la défense et au développement de cet acquis pour l’avenir. 

Acteur et conteur, tu nourrissais ta galerie de portraits d’anecdotes parlantes et croustillantes, parfois mordantes (n’ayant pas la mémoire courte), avec toutefois une bienveillance et une curiosité illimitées pour les nouveaux que tu ne cessais d’encourager dans leurs projets. Tu n’en étais jamais à court de ton côté, et des plus originaux, avec cette capacité à dompter l’impossible – malgré tes airs de dillettante – si on était assez fou pour te suivre. J’ai beaucoup apprécié nos conversations autour de repas, entre confidences et fous rires, nos aventures au Salon du livre d’Alger avec Hassan, ton complice de toujours, parti beaucoup trop tôt lui aussi.

Adieu l’ami.

Témoignage de Robert Ilbert

Deux souvenirs me reviennent en pensant à Michel qui révèlent bien le personnage que j’ai beaucoup aimé. 

Le premier renvoie à son côté léger et poète. J’ai toujours regretté qu’il n’ait pas écrit et publié, à partir notamment de ce qu’il avait rassemblé, au tout début de sa carrière, sur l’histoire de la navigation arabe entre mer Rouge et océan Indien. Il étudiait alors les poèmes que les marins récitaient et se transmettaient pour suivre les étoiles. Il me l’a raconté des dizaines de fois ; il aurait fallu l’enregistrer pour en garder une trace parce qu’une publication, avec Michel, c’était mission impossible ! Et pourtant je l’ai cru quand il me disait : « Je vais le faire, je vais le faire… ». C’est vraiment dommage parce qu’il avait réalisé un gros travail pour recueillir ces poèmes et les retranscrire. Ils indiquaient comment ces marins traversaient l’océan Indien, depuis l’île de Socotra au sud du Yémen, jusqu’en Inde. Il y a encore un an, je l’ai appelé en lui demandant de venir me rendre visite pour me raconter ses histoires de marins...

Le deuxième souvenir que je garde de Michel, c’est juste après mon AVC en 2001. Cela illustre cette fois son côté marchand libanais. Il voulait absolument que je lui rachète sa Mercedes de 1990 qui tombait toujours en panne… Il m’a amené avec cette voiture une fois au Mas de Gentil où j’habite, près de Montpellier, essayant de me convaincre parce que, disait-il, elle serait idéale pour réapprendre à conduire. A cette époque, ma mère était encore en vie et assise à l’arrière. Mais on a surtout retenu qu’avec ce véhicule, une seule chose fonctionnait à la fois, soit le moteur, soit la clim. On crevait de chaleur, ma mère a failli s’évanouir. J’ai préféré acheter une voiture neuve.

Au-delà des anecdotes rigolotes avec Michel, ce qu’il ne faut surtout pas oublier, ce sont les grands services qu’il a rendus, à moi comme à d’autres, et notamment au moment de la création de l’Iremam au milieu des années 1980. Parce qu’il connaissait tout le monde : il était copain avec Michel Vovelle, André Raymond, Robert Mantran, avec le secrétaire général du Conseil de coopération du Golfe… Et il savait parfaitement négocier pour convaincre les uns et les autres. Il avait même une capacité surprenante (un peu effrayante parfois) à sortir des cadres, à sauter allègrement les frontières… Mais surtout les qualités humaines pour essayer de rapprocher celles et ceux qui, pour de bonnes ou de mauvaises raisons, s’étaient écharpés à un moment et beaucoup éloignés. Pour cela encore, je l’ai aimé tout en regrettant, en apprenant sa mort, de ne pas toujours l’avoir écouté. 
Il restera à mes yeux, avec beaucoup de respect, Michel l’orientaliste. 

Témoignage d'Emmanuelle Garcin (fille de Jean-Claude Garcin)

Michel Nieto a été très présent les dernières années de la vie de notre père Jean-Claude Garcin. Ses visites régulières, pendant lesquelles ils s’entretenaient tous les deux, l’ont beaucoup soutenu et nous lui en avons été reconnaissants. Michel lui avait amené un exemplaire de « L’Odyssée de Hakim », il parlait avec beaucoup d’enthousiasme de ce travail de traduction.
Nous tenons à saluer la mémoire de Michel Nieto aujourd’hui en souvenir de cette amitié. 

Témoignage de Fatima Al-Zawiya

Cher Michel, je n'arrive pas à croire que je parle de toi in absentia. Je te vois devant moi maintenant, riant de mon accent bédouin. Au début, quand j’ai su que tu t'étais porté volontaire pour m'aider avec les transactions légales de mon asile, j’ai eu peur que l'on n’arrive pas à se comprendre. Mais toutes mes craintes se sont dissipées lorsque j'ai su que tu parlais couramment l'arabe et les dialectes yéménites. Je n’arrive pas à trouver les mots justes pour te décrire. Tu avais un esprit magnifique, enjoué et simple qui m'a soutenu et m'a épaulé pendant de longs mois. Combien de fois t’es-tu levé à l’aube pour m’emmener à Marseille dans ta voiture pour faire toutes les démarches nécessaires. Tu m’as tant aidé jusqu’à ce que ma situation se stabilise, et tout cela avec le sourire. Tu ne me connaissais pas, rien ne t’obligeait à faire tout cela si ce n’est ton esprit humaniste. Que Dieu t‘accorde la miséricorde, repose en paix, je ne t’oublierai jamais.  

Témoignage de Issam Chehadat (bibliothécaire à l’Ifead, puis à l’Ifpo)

Quand on évoque Michel Nieto, des souvenirs de Damas, de l’Institut français d’études arabes (Ifead/Ifpo) et des années 1997-2003 me reviennent en mémoire. Michel est arrivé en tant que directeur de la bibliothèque. Rapidement, une relation de confiance, puis d’amitié, s’est établie entre nous. Toute l’équipe de la bibliothèque avait senti que Michel était « des nôtres » ; avec lui, il n’y avait ni distance ni étrangeté.

D'une nature affable, toujours souriant, Michel possédait une méthode de travail bien particulière, empreinte d’une diplomatie habile et raffinée. Je me souviens d’un jour où, en me croisant alors que je me précipitais pour chercher un livre, il m’arrêta un instant et me dit : « Issam, ne change pas ! ». C’était là sa manière à lui d’encourager.

Michel vouait un profond respect au travail, mais également à la vie en dehors de celui-ci. C’était un homme animé par un sens de la vie indéfectible, peu importe la laideur du monde environnant. Il savait toujours dénicher un aspect positif, si minime soit-il, et s’en contentait pour ne pas gâcher sa joie de vivre.

Nous avons longuement échangé sur Zanzibar, les navigateurs musulmans arabes, et la navigation guidée par les étoiles. Avec les amis Diaa et Hadi de l’Institut, nous avions même élaboré des plans pour rejoindre son équipage dans un voyage en boutre, qui partirait du Yémen à destination de Zanzibar. Je l’ai accompagné lors de ses discussions avec cet ami chercheur yéménite, Abdullah Saghiri, et je les ai entendus parler de la mer, des marins et des étoiles ; des discussions imprégnées d’histoire, peuplées de noms de navigateurs et de ports, et nourries du rêve d’accomplir ce voyage.

Tant de souvenirs et d’anciennes émotions qui se ravivent encore…

Nous les confions à Dieu, tout comme nous lui confions notre ami Michel.

Année
2024