Photo : Tel Aviv, 13 mai 2023 © Tal Dor
Séminaire de recherche éducation de l’IREMAM
Colonialité des mondes scolaires : pratiques, expériences et territoires
Responsables : Christine Mussard et Julien Garric (AMU-IREMAM)
Mercredi 29 avril 2025, 10h-12h, MMSH, salle Duby, Aix-en-Provence et en visioconférence sur demande (Pour assister à la séance à distance, merci de contacter les organisateurs : julien.garric[at]univ-amu.fr ou christine.mussard[at]univ-amu.fr).
Tal DOR (AMU/IREMAM), "Les processus d'apprentissage des israélien.ne.s antisionistes : une démarche féministe".
Alors que la deuxième Intifada palestinienne, le soulèvement des années 2000, parfois sous la forme d'une résistance armée à l'occupation militaire et à la colonisation israélienne, a intensifié la rhétorique de l'altérité et celle du « droit de nous défendre » pour la plupart des juif.ve.s-israélien.ne.s, y compris les membres de ce que Sabbagh-Khoury (2023) appelle la gauche autoproclamée, une minorité de juif.ve.s-israélien.ne.s a rompu avec le sionisme et s'est retrouvée de manière inattendue dans les marges politiques, décrites par bell hooks (1990) comme un espace d'ouverture radicale. Cette communication souhaite analyser les processus d’apprentissage qui participent à cette rupture. Elle se base sur des entretiens biographiques menés au cours de la décennie qui a suivi la deuxième Intifada (2009 à 2016).
La description et l’analyse des récits des antisionistes juif.ve.s-israélien.ne.s des deux dernières décennies montre que l'entrée dans les marges politiques antisionistes est liée à un processus d'apprentissage radical et révolutionnaire, entraînant ce que bell hooks (1994, 2003, 2010) appelle, une profonde transformation de la conscience. Celle-ci ne remet pas seulement en cause la vision fondamentaliste de la supériorité juive, défendue par l'extrême droite, vision qui a acquis un pouvoir politique considérable depuis les élections israéliennes de 2022. Elle a surtout conduit, chez les militant.es enquêté.es, à une rupture avec le sionisme, remettant pour elles.eux en question la légitimité de la création de l'État juif en 1948. De cette rupture est née une prise de conscience chez les Juif.ve.s israélien.ne.s antisionistes, qui se perçoivent eux.elles-mêmes comme des colons (settlers) et la société israélienne dans son ensemble comme une société coloniale en Palestine. Ce qui fait de l'antisionisme une position radicale, c'est qu'il comprend la violence de l'État israélien à Gaza et en Palestine plus largement, comme étant structurelle au sionisme politique, et qu'il considère donc que la racine, le cœur du sionisme politique est la violence du colonialisme de peuplement (Rouhana & Shalhoub-Kevorkian, 2021).
Le terme radical, dans son sens pédagogique féministe, est compris comme une quête pédagogique qui va à la racine pour comprendre la cause première (Ella Baker 1969 dans Bhandar & Ziadah, 2020). La manière dont le terme est utilisé sur le terrain par les antisionistes Juif.ve.s-israélien.ne.s montre qu’une position radicale permet de s'interroger et de devenir des sujets complexes qui s’engagent à se positionner (hooks, 1984) dans les dynamiques de pouvoir de la colonialité israélienne. Pour ces militant.es, le processus d’apprentissage consiste à construire une conscience féministe radicale ce qui signifie donc de défaire la conscience des habitudes institutionnelles.
La possibilité de changer des habitudes institutionnelles réside, selon bell hooks (1992), dans un processus éducatif féministe de transformation de la conscience. Elle conçoit la transformation vers une conscience radicale comme une forme de résistance politique qui peut transformer "nos façons de voir et d'être" dans le monde et qui nous permet « d'agir contre les forces de domination » (ibid., p. 20). Si ce mouvement commence par la reconnaissance des contextes historiques (Freire, 1970 [2000]) qui ont créé un ordre injuste, il doit, selon Sara Ahmed (2007), aller plus loin et examiner le présent afin de savoir comment changer la réalité injuste ou, pour reprendre ses termes « démanteler le mal » (Ahmed, 2017).
Bibliographie
Ahmed, S. (2017). Living a Feminist Life. London: Duke University Press.
Ahmed, S. (2007). A phenomenology of whiteness. Feminist Theory, 8(2), 149-168.
Bhandar, B., & Ziadah, R. (2020). Revolutionary Feminisms: Conversations on Collective Action and Radical Thought. London: Verso.
Freire, P. (1970 [2000]). Pedagogy of the Oppressed. New York: Continuum International Publishing Group
hooks, b. (2010). Teaching Critical Thinking: Practical Wisdom. New York, London: Routledge.
hooks, b. (2003). Teaching Community: A Pedagogy of Hope. New York, London: Routledge.
hooks, b. (1994). Teaching to Transgress: Education as the Practice of Freedom. New York: Routledge.
hooks, b. (1992). Black looks Race and Representation. Boston, MA: South End Press.
hooks, b. (1990). Yearning: Race, Gender, and Cultural Politics. New York, London: Routledge.
hooks, b. (1984). Feminist Theory: From Margin to Center. Cambridge, MA: South End
Press.
Sabbagh‐Khoury, A. (2023). Memory for forgetfulness: Conceptualizing a memory practice of settler colonial disavowal. Theory and Society, 52, 263–292.
Rouhana. N, & Shalhoub-Kevorkian, N. (2021), When Politics Are Sacralized: Comparative Perspectives on Religious Claims and Nationalism. Cambridge: Cambridge University Press.
Sociologue et pédagogue critique, Tal DOR est maîtresse de conférences au Département des études moyen-orientales (DEMO) à Aix-Marseille Université et membre de l’IREMAM). Elle est co-auteure de Rencontres radicales : pour des dialogues féministes décoloniaux. Elle a également co-édité l’ouvrage Colonialité et ruptures. Écrits sur les figures juives arabes d’Ella Shohat. Ses travaux portent sur le militantisme politique dans des contextes de colonialisme de peuplement. En explorant comment des Juif.ve.s israélien.ne.s adoptent l’antisionisme à travers la lecture des théories féministes radicales, elle analyse les processus de transformation de la conscience politique, qui commencent par un désapprentissage et mènent à une forme d’incarnation (embodiment) de l'antisionisme au sein-même de la société israélienne actuelle.