Appel à propositions journée d’étude "Quand la scène s’empare du traumatisme : métadiscours des artistes arabes contemporains"
13 mars 2026, Université de Lorraine, Nancy / Télécharger l'appel
Argumentaire
Dans les mondes arabes, les artistes des arts de la scène et du spectacle vivant — dramaturges, metteurs et metteuses en scène, performeurs et performeuses, chorégraphes, artistes travaillant à la croisée du théâtre, de la performance, de la danse ou de formes scéniques hybrides — sont régulièrement confrontés à des réalités marquées par les guerres, les déplacements forcés, les violences politiques ou structurelles. Ces expériences, qu’elles soient vécues directement ou transmises d’une génération à l’autre, façonnent un terrain esthétique et éthique particulièrement sensible où la création scénique et performative se trouve prise dans des régimes de violence, de contrainte et d’urgence mémorielle.
Depuis plusieurs décennies, les sciences humaines ont montré que le traumatisme ne saurait être appréhendé uniquement comme un objet de représentation, mais comme un processus complexe engageant mémoire collective, subjectivité, affect et responsabilité (Caruth 1996 ; LaCapra 2001 ; Alexander et al. 2004 ; Ricoeur 2000). Or, loin de se limiter à la représentation théâtrale stricto sensu, nombre d’artistes arabes contemporains travaillant dans les arts de la scène développent un discours réflexif sur leurs propres pratiques, dans lequel ils interrogent leurs choix esthétiques, leurs dispositifs scéniques, performatifs ou chorégraphique. Ils critiquent les formes dominantes de représentation, expriment leurs réserves morales face à la spectacularisation de la violence, élaborent des stratégies de contournement ou de dévoilement, et précisent les limites mêmes du représentable. Ce positionnement réflexif s’inscrit dans une tradition plus large de pensée critique de la création en contexte politique, où l’esthétique apparaît indissociable de l’éthique et du politique (Rancière 2000 ; Bourriaud 1998 ; Butler 2009).
La journée d’étude intitulée « Quand la scène s’empare du traumatisme : métadiscours des artistes arabes contemporains » se propose d’explorer précisément cet espace encore largement négligé par la critique : le métadiscours des artistes de la scène arabe contemporaine.. Celui-ci constitue un lieu privilégié où se nouent la pensée du traumatisme, la réflexion sur les dispositifs scéniques, performatifs et médiatiques,, et l’élaboration d’une éthique de la création en contexte de violence, d’exil ou de censure (Felman & Laub 1992 ; Craps 2013 ; Hirsch 2012).. En s’intéressant aux discours produits par les artistes — correspondances de création, notes d’intention, entretiens, textes programmatiques, journaux de répétition, manifestes artistiques, et d’autres postures et positionnements critiques — cette journée d’étude vise à éclairer les processus par lesquels les pratiques scéniques et performatives transforment l’expérience traumatique en moteur esthétique, en prise de position politique et en forme d’engagement envers leurs publics et leurs sociétés. Plusieurs travaux récents ont montré que ces discours périphériques ou paratextuels constituent des matériaux essentiels pour comprendre non seulement les œuvres, mais aussi les conditions concrètes de leur élaboration, leur circulation et leur réception (Dubois 2022 ; Gorman & Yazaji 2019 ; Larzillière 2023).
L’analyse de ces dispositifs permet ainsi de comprendre comment les artistes arabes conceptualisent leur rôle dans un espace où se croisent mémoire collective, contraintes politiques, attentes du public, enjeux du témoignage et impératifs artistiques. Dans des contextes marqués par la guerre, l’occupation, la prison ou l’exil — comme en Syrie, en Palestine, en Irak ou au Liban — la scène au sens large devient souvent un lieu de négociation fragile entre document, fiction et performativité, où se posent avec acuité les questions de la responsabilité du créateur, de la place du témoin et de la légitimité de la parole artistique (Cooke 2011 ; Elias 2018 ; Carlson & Midhin 2025 ; Nakhlé-Cerruti 2024). Le métadiscours artistique constitue à ce titre une source décisive pour appréhender non seulement les œuvres achevées, ou en cours d’écriture et de mise en scène, mais aussi les tensions, hésitations et (re)positionnements qui accompagnent leur élaboration. Il permet d’interroger les limites de la représentation du corps du corps en scène violenté, du silence, de la disparition ou de la survivance, ainsi que les choix de pudeur, d’anonymat ou de monstration opérés par les artistes (Sai 2015 ; Fischer-Lichte 2005, 2008).
En s’attachant à cette notion encore peu étudiée, la journée d’étude ambitionne de combler un manque dans les recherches consacrées aux arts de la scène arabes contemporains. Si les analyses textuelles ou scéniques se sont multipliées, notamment autour des esthétiques post-dramatiques, documentaires ou performatives (Lehmann 2002 ; Lavender 2014), la parole réflexive des artistes demeure souvent marginalisée, mobilisée ponctuellement à titre illustratif, sans être interrogée comme un matériau autonome capable d’éclairer de manière originale la pensée du traumatisme, de la mémoire et de l’engagement artistique.
Dans ce sens, la rencontre s'inscrira dans la continuité directe du colloque organisé en avril 2025 à l’Université de Lorraine sur le thème « Trauma et création artistique : l’engagement des artistes arabes dans des dynamiques de résilience ». Le succès de cette première initiative et la richesse des échanges transdisciplinaires qu’elle a suscités ont montré la nécessité de prolonger l’enquête, notamment en déplaçant le regard vers les discours que les artistes produisent sur leurs propres pratiques. Il s’agira désormais d’approfondir la réflexion sur la manière dont les dramaturges élaborent, transforment et problématisent l’expérience traumatique au cœur même de leurs processus créatifs, dans des contextes où création, recherche et engagement politique sont souvent étroitement imbriqués.
Axes thématiques (non exhaustifs)
Nous invitons des propositions portant notamment sur :
- Métadiscours des artistes des arts de la scène arabes contemporains : entre positionnement esthétique, engagement politique, recherche scientifique et réflexion éthique.
- Poétiques du traumatisme : formes, dispositifs scéniques, performatifs ou chorégraphiques, et stratégies narratives influencées ou générées par l’expérience traumatique.
- Trauma, mémoire et performativité : comment les artistes de la scène conçoivent-ils les limites et les possibilités des arts vivants face au traumatisme ?
- Écriture processuelle et réflexive : journaux de création, entretiens, enquêtes, notes d’intention, correspondances, paratextes. Le rôle du corps, de la mémoire individuelle et de l’altérité dans le processus de création.
- Diasporas et déplacements : pratiques méta-discursives d’artistes de la scène travaillant hors du monde arabe.
- Éthique du témoignage et du témoin, responsabilité du créateur : représentations du corps, de la violence, du silence ou de la survivance. Place donnée au témoin, à sa voix, à sa pudeur ; logique d’anonymat vs monstration.
- Circulation des œuvres et réception : comment les artiseperçoivent-ils l’interprétation, l’appropriation ou la censure de leurs œuvres scéniques ou performatives ? ? Comment pensent-ils leurs effets sur le public ?
Toute approche interdisciplinaire (études théâtrales, arts de la scène et du spectacle vivant, performance studies, danse, littérature, sociologie, anthropologie, histoire culturelle, études sur le traumatisme, études arabes, études diasporiques) est la bienvenue.
Comité organisateur
Annamaria Bianco, Université d’Aix-Marseille, IREMAM, Institut français du Proche-Orient
Laurence Denooz, Université de Lorraine
Simon Dubois, Université de Lorraine
Elisabeth Vauthier, Université Jean Moulin-Lyon 3
Comité scientifique
Tania Al Saadi, Stockholm University
Lovisa Berg, Dalarna University
Martina Censi, Université de Bergame
Omar Fertat, Université Bordeaux Montaigne
Hilda Mokh, Université de Lyon 3
Najla Nakhlé-Cerruti, CNRS, Institut français du Proche-Orient
Marianne Noujaim, Université Saint-Joseph, Beyrouth
Teresa Pepe, University of Oslo
Calendrier et modalités de soumission
Les propositions de communication devront comporter : un titre, un résumé (250 à 350 mots), une courte bio-bibliographie (100 mots environ), l’affiliation institutionnelle et les coordonnées de l’auteur/autrice. Elles sont à envoyer avant le 31 janvier 2026 à : laurence.denooz@univ-lorraine.fr, elisabeth.vauthier@univ-lyon3.fr, simon.dubois@univ-lorraine.fr, annamaria.bianco@univ-amu.fr
31 janvier 2026 : soumission des propositions de communication.
7 février 2026 : notifications d’acceptation.
13 mars 2026 : journée d’étude se tiendra en présentiel à Nancy.
30 mai 2026 : soumission des articles pour publication.
10 juillet 2026 : notification d’acceptation des articles après expertise en double aveugle.
Information logistique : les frais de déplacement, d’hébergement et de séjour ne sont pas pris en charge par les organisateurs du colloque. Les déjeuners seront offerts aux intervenants.
Langues de la communication et de la publication : Français, arabe ou anglais.
Bibliographie
Abu Shihāb, Rāmī, Kitāb Al-Ḍaḥiyya: Ādāb al-Ṣadma (al-Trūmā) — al-Ṣīġa, al-Atar, al-Imtidād, Amman, al-Mu’assasa al-ʿArabiyya li-l-dirāsāt wa-l-nashr, 2024.
Ahmed, Sara, The Cultural Politics of Emotion, New York, Routledge, 2004.Alexander, Jeffrey C. et al. (ed.), Cultural Trauma and Collective Identity, Berkeley, University of California Press, 2004.
Ali, Waël et Dubois, Simon. « (Re)construire la maison de Swift : la scène emprisonnée comme dispositif de recherche ». Percées. Explorations en arts vivants, 2024, 11.
Balme, Christopher. Decolonizing the Stage: Theatrical Syncretism and Post-Colonial Drama, Oxford, Clarendon Press, 1999.
Bashir, Bashir, and Amos Goldberg, eds. The Holocaust and the Nakba: A New Grammar of Trauma and History. Foreword by Elias Khoury, Afterword by Jacqueline Rose, New York, Columbia University Press, 2018.
Bourriaud, Nicolas, Esthétique relationnelle, Dijon, Les Presses du Réel, 1998.
Butler, Judith, Frames of War: When Is Life Grievable?, London–New York, Verso, 2009.
Carlson, Marvin, and Majeed Mohammed Midhin. 2025. “Terror and Horror in Contemporary Iraqi Theatre.” Studies in Theatre and Performance, December, p. 1–13.
Caruth, Cathy. Unclaimed Experience: Trauma, Narrative, and History, Baltimore, Johns Hopkins UP, 1996.
Cooke, miriam, « The Cell Story: Syrian Prison Stories after Hafiz Asad », Middle East Critique, n°. 20, 2 (2011), p. 169–187.
Craps, Stef, Postcolonial Witnessing: Trauma Out of Bounds, London,, Palgrave MacMillian, 2013.
Denooz, Laurence (dir.). LiCArC (Littérature et culture arabes contemporaines), n° 9 : Théâtre, Autocraties et Démocraties. Paris, Classiques Garnier, 2021.
Dubois, Simon. "Chapter 6 Young Documentary Theatre on Syrian Stages: An Aesthetic of Circulation, Exile, and Engagement". In Larzillière, Pénélope (ed.) The Global Politics of Artistic Engagement. Beyond the Arab Uprisings, Leiden, Brill, 2022, p. 181–209.
Elias, Chad. Posthumous Images: Contemporary Art and Memory Politics in Post–Civil War Lebanon. Durham, Duke University Press, 2018.
Felman, Shoshana, and Dori Laub. Testimony: Crises of Witnessing in Literature, Psychoanalysis, and History, New York, Routledge, 1992.
Fischer-Lichte, Erika, Theatre, Sacrifice, Ritual: Exploring Forms of Political Theatre, London-New York, Routledge, 2005.
Fischer-Lichte, Erika. The Transformative Power of Performance, New York, Routledge, 2008.
Gorman, Daniel, and Rana Yazaji. Everybody Wants a Refugee on Stage: Conversations Around Contemporary Artistic Engagement with Migration. Brussels, IETM – International network for contemporary performing arts, June 2019.
al-Ḥāǧǧ Ṣāliḥ, Yāsīn, al-Ṯaqāfa ka-l-siyyāsa : al-muṯaqqafūn wa-masʼuliyyatuhum al-iǧtimāʻīyya fī zaman al-ġīlān (La culture comme politique: les intellectuels et leur responsabilité sociale au temps des ogres), Beyrouth, al-Mu’assasa al-‘arabiya li-l-dirāsāt wa-l-našr, 2018.
al-Ḥāǧǧ Ṣāliḥ, Yāsīn, al-Faẓī‘ wa-tamtīluhu. Mudāwalāt fī šakl Suriyyā al-muharrab wa-taskīluhu al-’asīr, Beyrouth, Dar al-ǧadīd, 2021.
Hirsch, Marianne, The Generation of Postmemory: : Writing and Visual Culture After the Holocaust, New York, Columbia UP, 2012.
Ismail, Salwa, The Rule of Violence : Subjectivity, Memory and Government in Syria, London-New York, Cambridge University Press, 2018.
LaCapra, Dominick. Writing History, Writing Trauma, Baltimore, Johns Hopkins UP, 2001.
Larzillière, Pénélope (dir.) Politique de l’engagement artistique : circulations internationales comparées. Revue internationale de politique comparée, 30, 2, 2023.
Lavender, Andy. “Modal Transpositions toward Theatres of Encounter, or, in Praise of ‘Media Intermultimodality.’” Theatre Journal, 66 (4), 2014, p. 499–518.
Lehmann, Hans-Thies, Le théâtre postdramatique, Paris, L’Arche, 2002.
Matar, Dina and Harb, Zahera. Narrating Conflict in the Middle East. Discourse, Image and Communications Practices in Lebanon and Palestine. London, I.B. Tauris, 2013.
Nakhlé-Cerruti, Najla, « Raconter la Nakba dans L’Année de la neige de Bashar Murkus (2016) », P. Donizeau et Y. Khajehi (éds.), « Scènes en révoltes. Théâtre et performance au Maghreb, Proche et Moyen-Orient contemporains », Études théâtrales, 74, 2024, p. 30-26.
Rancière, Jacques, Le partage du sensible. Esthétique et politique, Paris, La Fabrique, 2000.
Ricoeur, Paul, La mémoire, l’histoire, l’oubli, Paris, Éditions du Seuil, 2000.
Sai, Fatima. « The Limits of Representation. The Transformation of Aesthetics in Syrian Artistic and Social Discourse », La rivista di Arablit, 5 (9-10), 2015, p. 106–113.
