Entretien avec Fariba Adelkhah et Vincent Geisser
Émission Cultures Monde, France culture - Série « Comprendre le monde, la recherche sous pression », 18 décembre 2024
Épisode 3/4 - La recherche en prison, entretien avec Fariba Adelkhah
Entre 2019 et 2023, l'anthropologue Fariba Adelkhah a été prisonnière en Iran. Elle a fait de la prison d'Evin, véritable boîte noire où elle a été incarcérée à deux reprises, un terrain d'étude.
Avec Fariba Adelkhah, anthropologue, directrice de recherche au CERI/Sciences Po. Et Vincent Geisser, chargé de recherche (CNRS) et directeur de l’IREMAM.
Fariba Adelkhah, anthropologue franco-iranienne, spécialiste des pratiques religieuses en Iran et en particulier du chiisme, a été incarcérée et assignée à résidence pendant 4 ans et 4 mois. Accusée d’espionnage, elle a d’abord été arrêtée à l’aéroport de Téhéran en juin 2019 alors qu’elle venait chercher son compagnon, Roland Marchal, sociologue, lui aussi emprisonné pendant un temps. Elle a ensuite été incarcérée une première fois à la prison d’Evin, pendant plus d’un an, avant d’être libérée avec un bracelet électronique jusqu’au 12 janvier 2022, date de sa réincarcération. Elle a finalement été libérée en février 2023, et a pu rejoindre la France le 17 octobre de la même année.
Poursuivre ses recherches en prison
Au moment de son arrestation, elle menait une recherche sur les itinérances religieuses entre l’Irak, l’Afghanistan et l’Iran. À la fois pour remédier à la perte de son terrain et pour supporter sa privation de liberté, l’anthropologue a décidé de faire de la prison d’Evin, véritable boîte noire, objet de nombreux fantasmes tant elle incarne dans l’imaginaire collectif la dimension répressive du régime iranien, un terrain à part entière. De cette expérience, elle a tiré un ouvrage, Prisonnière à Téhéran, paru au Seuil en novembre 2024, dans lequel elle revient sur ce qu’elle a pu observer durant son séjour dans la prison, en étant tout particulièrement attentive aux pratiques des acteurs qui s’y trouvent, que ce soient les prisonnières ou les gardiennes, ainsi qu’aux diverses interactions qui y prennent place. Fariba Adelkhah se concentre ainsi moins sur la dimension répressive de la prison, dont elle ne propose d’ailleurs pas une dénonciation à proprement parler, que sur la dimension sociale de cet espace confiné et sur les dynamiques que l’on y observe : la concurrence, l’entraide, les médisances, les interdépendances...